Quand elle présentait innocemment un vin blanc issu d’un terroir de granite qui développe sa puissance tout en dentelle et en finesse sur des arômes de fleurs blanches, je rêvais déjà, et me rappelais cette femme blonde, qui tournait et tournoyait par une journée enneigée d’hiver dans les salles de cette expo de tableaux très impressionnistes. Cette ingénue captait mon attention dans une fausse discrétion toute féminine, cultivant le mystère et disparaissant sans cesse entre les salles de la galerie. C’est plus tard, quand enfin je pus déguster sa présence, qu’elle me surpris avec son accent venu du Nord, sa langue natale était chaude et suave, dont elle emplissait plus tard le palais de mes plus vieilles certitudes pour m’emporter sur les pentes de ce Grand Cru Alsacien millénaire auquel je pense secrètement…souvenir…

Je devais avoir le regard ailleurs quand la sommelière enchainait alors sur un vin qu’elle disait puissant à la robe trompeuse, un vin fumé donnant sur une bouche large, haute et profonde. Je pensais à cette lumineuse brune croisée à cet apéro chez des amis par un soir de printemps. La douceur du couchant caressait ses épaules nues aux discrètes taches de rousseur. Il fallut ensuite être patient, mais le temps est l’allié des épicuriens et finalement elle s’ouvrait à moi, plantant son regard dans le mien, son parfum naturel s’enroulait tout autour de mon attention toute captivée, bousculait mes derniers doutes en les faisant rouler sur les pentes chaudes de ce Grand Cru Alsacien millénaire auquel je pense secrètement …souvenir de printemps…

La sommelière remarquait-elle mon trouble quand elle m’invitait à accompagner la viande rouge d’un profond vin rouge à la grande longueur et aux arômes de fruits rouges, qui me propulsait immédiatement vers le souvenir de cette femme aux épais cheveux noirs qui avait déboulé quelque été auparavant. Cette femme aux formes aussi affirmées que raffinées et à la peau soyeuse, dont les ongles avaient laissé les traces rouge sang dans mon dos, celle qui m’avait offert de partager cette framboise qu’elle tenait entre ses dents, telle un trophée à conquérir … ce souvenir ému dévalait ce Grand Cru Alsacien millénaire auquel je pense secrètement…

La jolie sommelière finit par s’agacer de mes rêveries quand elle me parlait enfin d’une vendange tardive aux accents d’abricot, je me souviens que mon esprit n’avait même plus honte de s’évader, et se matérialisait alors le souvenir de cette rousse flamboyante qui, un soir d’automne, manqua de me renverser avec son vélo, m’engueulant et vitupérant, m’arrosant de ses vains mots qui pour moi n’étaient que des promesses d’une folle et haletante chevauchée entre les courbes doucement rebondies de ce Grand Cru Alsacien millénaire auquel je pense secrètement…souvenir d’automne…

Les vendanges de l’amour du vin nous emportent parfois loin, et si le vin agite les sens à chaque gorgée, sa caresse n’arrive cependant pas à la cheville de la caresse ne serait-ce d’un regard de femme, et les mots savants des sommeliers ne décriront jamais ce qui se passe vraiment dans ma tête…