Cet article comme les autres sur le thèmes des besoins émotionnels est très largement inspiré par les travaux et les publications d’un maitre à penser, Mark Tyrrell.
L’attention, un des besoins émotionnels fondamentaux
Nos besoins en attention varient, selon nos parcours, selon notre environnement, nos activités, et ils sont dynamiques et évoluent au fil de la vie. Le besoin d’attention touche presque tous les aspects de la vie humaine, et il est crucial de le comprendre, car comprendre l’attention, c’est se comprendre dans ses relation à soi et au monde.
Des lacunes dans ce besoin d’attention peuvent poser problème, tant sur le plan émotionnel que social, et bloquer le développement personnel dans le bien-être : c’est un des besoins émotionnels fondamentaux.
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Chez le nourrisson, le besoin d’attention est pur : il pleure simplement pour l’obtenir. Mais si, lors d’une soirée, je me sens ignoré, je ne peux pas me mettre à hurler pour qu’on me regarde.
Les adultes sont plus subtils que les bébés : ils trouvent des moyens complexes et détournés de nourrir leur besoin d’attention.
Si nous ne comblons pas ce besoin de manière saine, nous devenons moins agiles dans nos relations avec nous-m’aime et les autres, plus agités, et devenons source de difficultés pour nous-mêmes et pour les autres — souvent sans même savoir que nous cherchons de l’attention.
« L’amour immatériel, c’est l’attention » Erich Fromm
Je suis assoiffé d’attention !
Lorsqu’une personne demande sans cesse des conseils ou de la réassurance, mais n’écoute jamais vraiment les réponses, ce n’est pas un conseil qu’elle recherche : c’est votre attention.
Il est plus facile de dire « Peux-tu me donner ton avis ? » que « J’ai besoin d’attention ».
Nous connaissons tous des personnes qui réclament plus que leur juste part d’attention.
Elles parlent longuement, attendent qu’on les écoute religieusement, mais sont incapables de rester concentrées quand c’est à votre tour de parler.
Chaque fois que vous réussissez à placer quelques mots — si elles vous en laissent l’occasion —, elles s’impatientent de reprendre la parole, utilisant ce court laps de temps non pas pour vous écouter, mais pour préparer ce qu’elles vont dire ensuite.
Ce genre de personnes peut être difficile à côtoyer — du moins jusqu’à ce qu’elles aient bu suffisamment à la coupe de votre attention pour étancher leur soif émotionnelle.
Attentions artificielles
Mais il n’y a pas forcément besoin de manipulateurs extérieurs. Un désir incontrôlé d’attention peut nous pousser à le chercher ailleurs.
Si quelqu’un est « affamé » d’attention, ce besoin peut devenir si urgent qu’il l’empêche paradoxalement de créer des liens sociaux, alors même que ces liens pourraient constituer une source saine d’attention.
C’est ainsi qu’une personne en manque d’attention peut s’attacher à une personne, ou à un thérapeute, ou encore sombrer dans une relation virtuelle, pour nourrir un besoin d’attention artificiel et sens unique.
Commerçants, thérapeutes ou même proches peut être tentés d’offrir (ou de vendre) une attention intéressée pour contrôler une personne en manque d’attention, et la garder dans une zone de confort, plutôt que de l’accompagner, l’encourager et l’aider à se réorienter vers des aspects plus positifs de sa vie, et à se détacher réellement du manque.
J’ai moi-même entendu une amie retourner encore et encore chez une psychologue qui, en définitive, validait à chaque séance ses plaintes en lui apportant simplement de l’attention et une fausse compassion. La cliente n’avait donc pas besoin de construire des vraies relations d’attention désintéressée et amicale, ni de progresser puisque le manque était comblé une fois par semaine. De plus, elle recevait de l’attention sans avoir besoin d’en porter à d’autres, d’en donner, et la paresse est plus confortable.
Cette facilité d’accès ouvre la voie à un auto-embrigadement : le bénéfice secondaire d’une attention artificielle et sans efforts s’accompagne de la crainte de perdre leur source d’attention si elles allaient mieux.
Et « l’amour immatériel, c’est l’attention » d’Erich Fromm, ouvre une voie royale aux relations virtuelles dans une société dont l’attention est de plus en plus intéressée. Mais cette attention-là, pleine d’intentions, ne nourrit pas le besoin émotionnel d’attention.
L’attention obtenue au travers de nos rôles
Pour être vraiment nourris en attention, nous devons combler notre besoin d’attention d’une manière saine, dirigée vers la personne que nous sommes, et non vers nos personnages.
Vous avez peut-être déjà rencontré des personnes très bruyantes autour d’une cause : elles en parlent sans arrêt, s’enflamment, publient à tout va. Mais si, du jour au lendemain, elles cessaient d’attirer l’attention au travers de leur combat pour une cause, continueraient-elles à s’y investir avec la même ardeur ? Ou bien cette cause, si chère à leur cœur, est-elle en réalité un moyen inconscient d’attirer l’attention ?
S’engager dans une association, lutter pour une « cause », ou encore dispenser de l’apprentissage peut devenir un moyen inconscient d’obtenir de l’attention. Il ne s’agit pas de dire que nous ne devrions combler nos besoins d’attention à travers des activités qui ne sont pas sociales, et c’est un des rares moyens pour des personnes trop seules d’avoir un contact social.
Mais il faut garder à l’esprit que cette nourriture n’est pas forcément portée à la personne en tant qu’être humain. L’attention peut être portée sur le rôle qu’on incarne dans une structure, que ce soit le militant associatif, le professeur ou encore le manager ou le thérapeute.
Nos décisions risquent alors d’être inconsciemment dictées par la question : « Combien d’attention cela me rapporte-t-il personnellement ? » plutôt que par « Qu’est-ce qui est le mieux pour la situation ? ». L’attention excessive peut même mener à une ivresse, laquelle peut mener une personne à « prendre le melon ».
Le love bombing du marketing et des PN
Si vous êtes en train de mourir de soif, et que quelqu’un vous tend de l’eau — et que cette personne semble être la seule à pouvoir le faire — vous risquez de vous sentir prêt à tout pour elle. Elle semblera offrir une solution facile à plusieurs de vos besoins affectifs — et parfois même physiques. Et pour quelqu’un dont les besoins ne sont pas comblés, cela peut être bouleversant — comme boire à pleine gorge après avoir traversé un désert.
Toute organisation ou toute personne sans scrupule qui cherche à vous manipuler le fera à travers vos besoins émotionnels : « il semblait fou de moi : il m’envoyait vingt messages par jour, m’offrait des fleurs, me disait qu’il m’aimait, mais c’était avant que tout ne tourne au cauchemar ». Ou encore « je sortais d’un divorce difficile, je me sentais très mal dans ma peau. Elle me faisait me sentir formidable, me disait que j’étais merveilleux, m’embrassait sans cesse, me répétait chaque jour qu’elle m’aimait. Elle m’a vraiment ensorcelé » …
Le love bombing, ou overdose d’attention, fonctionne aussi bien à l’échelle individuelle qu’au sein d’une secte ou d’une organisation et en marketing. La personne « bombardée d’amour » devient dépendante — puis malléable, manipulable.
Alors, au lieu de se demander d’une personne proche qui semble en pavoisons devant un/e inconnu/e : « Mais qu’est-ce qu’elle lui trouve ? », une meilleure question serait : « Quel besoin comble-t-il/elle chez mon amie/ma parente, et comment pourrait-elle satisfaire ce besoin autrement ? ».
L’effet Hawthorne
Ce nom vient d’une étude menée aux États-Unis dans les années 1920-1930.
Des chercheurs observaient des ouvriers dans une usine pour voir quels changements dans leurs conditions de travail amélioreraient leur satisfaction et leur productivité.
Après de nombreux ajustements matériels, ils ont finalement conclu que ce n’étaient pas les changements d’environnement qui avaient fait la différence, mais l’attention et l’intérêt que les chercheurs leur avaient portés. Autrement dit : l’attention est un levier puissant.
Si quelqu’un meurt de faim d’attention, ou s’il cherche à la recevoir d’une seule source, il peut développer de véritables troubles — allant du harcèlement jusqu’à des pensées suicidaires si la relation se rompt. Quand une seule personne est censée combler ce besoin, tout devient fragile.
Le rôle majeur de l’attention dans les relations humaines
Les relations nous permettent de réguler le besoin d’attention, afin de devenir des êtres humains plus heureux, plus sains et plus efficaces.
Comprendre le rôle central de l’échange d’attention dans nos relations est essentiel.
Pourtant la recette est ancestrale, et simple : C’est entretenir plusieurs amitiés, de nombreux contacts, et participer à quelques événements sociaux par mois … en somme, c’est être en lien.
Je parle là des relations vivantes, réelles, donc y compris disputes, rires et insouciance, des relations d’attention échangées. Et oui, y compris dans le conflit, car rester dans l’échange c’est nourrir l’attention, tandis que laisser le conflit à l’abandon c’est retirer l’attention à l’autre, c’est nier son existence. Ne ghostez jamais vos amis.
Cela nous permet de nourrir ce besoin émotionnel fondamental dans la durée, et nous pouvons alors aussi nous retirer du monde pour vivre un peu en retrait, autre facteur d’équilibre, sans souffrir de manque.
Comprendre l’attention, c’est comprendre les relations
Quand on commence à voir à quel point la recherche d’attention influence tant d’aspects de notre vie, alors toutes sortes de comportements apparemment étranges deviennent soudain beaucoup plus compréhensibles.
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📚 Références :
- Mark Tyrrell, The Dark Side of Your Emotional Needs: Attention
- Donald Winnicott, Jeu et réalité (notion de “holding”)
- Erich Fromm, L’art d’aimer
- Études contemporaines sur la solitude et la santé mentale (Cacioppo, 2008).
- Viktor Frankl, Man’s Search for Meaning (le sens comme nourriture psychique)
- Études sur la motivation extrinsèque vs intrinsèque (Deci & Ryan, théorie de l’autodétermination).
- Idries Shah, The Commanding Self.
- Hannah Arendt Les Origines du totalitarisme
Simone Weil, Réflexions sur le bon usage des études scolaires (sur l’attention comme