Mois : novembre 2025

NOS BESOINS ÉMOTIONNELS – INTRODUCTION

Le côté obscur des besoins émotionnels humains

 

 

Introduction

Nos besoins émotionnels fondamentaux s’enracinent dans les circuits de motivation du cerveau, et cherchent sans cesse à se réaliser. Ils colorent nos pensées, orientent nos choix, et des décisions que nous croyons rationnelles sont souvent des stratégies inconscientes de nourrir nos besoins émotionnels fondamentaux.

Ne pas les respecter est source de nombreux problemes relationnels avec soi et avec les autres. Cette série d’articles les explore et nous permet de mieux nous connaitre. Elle est très largement inspirée des travaux de Mark Tyrrell de Uncommon Knowledge.

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Un groupe de personnes traversait un désert sous une chaleur écrasante. Et soudain, dans la fournaise, sans réseau ni repères, leur véhicule tombe en panne. Ils se retrouvent bloqués, et assez rapidement leurs réserves d’eau s’épuisent. Un homme, devenu fou de chaleur, de panique et de soif, fini par céder et boit de l’huile du moteur de leur véhicule. Il en boit tellement qu’il meurt moins d’une demi-heure plus tard. Cet homme avait un vrai un besoin vital, incontestable. Il pensait le combler … mais le remède s’est avéré mortel !…

Vraie ou non, cette histoire est une analogie de la manière dont nos besoins émotionnels peuvent nous rendre tout aussi vulnérables, et nous pousser à des comportements tout aussi insensés.

« Pourquoi ai-je fait ça ? », «  pourquoi ai-je commencé à fumer, à boire, à jouer ? », «  pourquoi ai-je englouti des gâteaux toute la nuit ? », « pourquoi ai-je cédé à cette petite voix intérieure ? », « mais comment j’ai été si stupide pour suivre aveuglément cette personne / cette idéologie ? » …  et cela parfois jusqu’à se nuire soi-même, à son développement, ou même à sa santé mentale, à ses relations, sa dignité.

Comment des êtres humains pourtant rationnels peuvent-ils agir de façon aussi irrationnelle ?

Cette série sur le côté obscur des besoins émotionnels cherche à montrer comment cette leur peut nous aider, nous, mais aussi les autres, qu’il s’agisse de nos proches, d’amis ou de collègues, à vivre être soi et avec les autres.

 

Nous avons tous des besoins émotionnels fondamentaux

Nous avons tous, à des degrés divers, besoin de donner et de recevoir de l’attention, de nous sentir en sécurité, de tenir compte du lien entre le corps et l’esprit ; Besoin d’avoir un but et un sens à notre vie, de nous sentir reliés à une communauté, d’avoir le sentiment de contribuer — même modestement — à quelque chose de plus grand que nous ; Besoin d’être stimulés, d’être créatifs, de relever des défis à notre mesure, d’éprouver l’intimité, de nous sentir libres et autonomes dans nos choix, et d’avoir un sentiment de valeur, de reconnaissance et de respect.

Lorsque nos besoins émotionnels fondamentaux ne sont pas suffisamment comblés, ou qu’ils ne sont en déséquilibre, nous devenons vulnérables. Et c’est là qu’un besoin devient toxique.

 

Mettre sa maison en ordre

De nombreuses traditions spirituelles anciennes exigaient que le postulant ait d’abord ses besoins émotionnels satisfaits avant de pouvoir chercher un épanouissement supérieur.

Il fallait qu’il ait « mis sa maison en ordre ». Sinon, l’activité spirituelle pouvait être considérée comme une forme de culte basé sur les émotions (voir The Commanding Self d’Idris Shah).

Un esprit affamé cherche des maîtres, des causes ou des amours non pas pour s’éveiller, mais pour combler ses manques. Et il y a un danger à confondre faim spirituelle et carence émotionnelle. L’une élève, l’autre asservit.

Dans The Commanding Self, Idries Shah montre comment le “faux soi” se nourrit de ces compensations : il crée un personnage de plus en plus convaincant, de plus en plus éloigné de l’être réel. Ainsi, nous pouvons nous croire “libérés” alors que nous ne faisons que jouer à l’être éveillé, dans une prison intérieure soigneusement décorée. Il y a une différence profonde entre le fait de ne pas tomber dans les dépendances et le fait de se détacher de ses besoins émotionnels. C’est alors s’aliéner à un système de croyance fermé alors même qu’on prétend être « éveillé/e »…

C’est si l’on adopte l’idée d’avoir d’abord ses besoins émotionnels satisfaits, qu’elle peut initier une vie spirituelle élévatrice.

 

Cœurs solitaires, premières cibles.

Les personnes émotionnellement isolées, celles qui ne donnent ni ne reçoivent assez d’attention, qui manquent d’interactions porteuses de sens ou d’intimité, ou qui ne se sentent pas appartenir à un groupe, deviennent vulnérables.

Les personnes qui ne parviennent pas à combler leurs besoins émotionnels, peut-être à cause de leur environnement ou d’une particularité comme l’autisme, sont elles aussi fragilisées.

Les êtres dont les besoins émotionnels ne sont pas satisfaits deviennent parfois vulnérables à leurs propres pulsions affectives. Et comme le type de mon analogie qui a bu de l’huile de moteur, ils s’exposent alors eux-mêmes à des dangers.

C’est là qu’on trouve les comportements compulsifs et d’évitement. Boire par mal-être, manger n’importe quoi, jouer aux jeux d’argent, faire du sport à outrance, travailler jusqu’à en être saoul, les jeux sexuels déviants…

Les personnes vulnérables sont particulièrement enclines à la dépression lorsqu’elles ruminent ce que sont des besoins non nourris mais mal compris. Comprendre ses vulnérabilités avec tendresse pour soi, c’est faire un pas vers la guérison.

 

Un thérapeute responsable

Un thérapeute responsable travaille à aider ses clients à rééquilibrer leurs besoins émotionnels. Il les aident à comprendre ces besoins, et à lever les obstacles qui empêchent leur accomplissement. Il les accompagne à trouver des moyens durables et autonomes de satisfaire leurs besoins en dehors du cadre thérapeutique. Les séances peuvent être comparées à des petites roues sur un vélo : elles soutiennent le client le temps qu’il retrouve son équilibre, jusqu’à pouvoir s’en passer. Autrement dit, la thérapie est faite pour être dépassée, non pas pour durer indéfiniment.

 

Les fournisseurs de besoins émotionnels

Beaucoup d’entre nous se méfient d’être manipulés par autrui, mais oublient qu’on peut aussi être manipulé par nos propres pulsions émotionnelles, en réponse à des vides émotionnels au travers de comportements insidieux, discrets, de croyances, de peurs irrationnelles, de compulsions et d’addictions, fussent-elles douces et même socialement normalisées.

Et lorsque d’autres perçoivent les besoins non comblés chez nous, ils peuvent choisir d’y répondre… ou du moins d’en donner l’illusion. Dès lors, ces personnes deviennent “le fournisseur” d’attention, de sens, ou d’estime de soi, d’affection, de lien, de valorisation, de confiance, d’intimité … et le marketing est maitre en la matière : nous fournir du sucre émotionnel, des émotions ultra-transformées prêtes à consommer.

C’est en faisant un pas de côté, en passant en revue nos besoins émotionnels, en se posant les bonnes questions, qu’on peut ensuite facilement identifier ce dont nous n’avons en fait pas besoin, ce en quoi nous faisons du mal à nous-même et aux autres, et redresser la barre.

Le dialogue bienveillant de la « psychothérapie dissonante » que je propos permet justement de dégager le terrain des besoins émotionnels, chez soi et chez nos proches.

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Lorsque nous comprenons clairement nos besoins émotionnels, nous voyons aussi pourquoi nos troubles émotionnels se développent, et nous donne un outil précieux pour comprendre quantité de comportements humains autrement inexplicables.

LES BESOINS EMOTIONNELS : L’ATTENTION

Cet article comme les autres sur le thèmes des besoins émotionnels est très largement inspiré par les travaux et les publications d’un maitre à penser, Mark Tyrrell.

L’attention, un des besoins émotionnels fondamentaux

Nos besoins en attention varient, selon nos parcours, selon notre environnement, nos activités, et ils sont dynamiques et évoluent au fil de la vie. Le besoin d’attention touche presque tous les aspects de la vie humaine, et il est crucial de le comprendre, car comprendre l’attention, c’est se comprendre dans ses relation à soi et au monde.

Des lacunes dans ce besoin d’attention peuvent poser problème, tant sur le plan émotionnel que social, et bloquer le développement personnel dans le bien-être : c’est un des besoins émotionnels fondamentaux.

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Chez le nourrisson, le besoin d’attention est pur : il pleure simplement pour l’obtenir. Mais si, lors d’une soirée, je me sens ignoré, je ne peux pas me mettre à hurler pour qu’on me regarde.

Les adultes sont plus subtils que les bébés : ils trouvent des moyens complexes et détournés de nourrir leur besoin d’attention.

Si nous ne comblons pas ce besoin de manière saine, nous devenons moins agiles dans nos relations avec nous-m’aime et les autres, plus agités, et devenons source de difficultés pour nous-mêmes et pour les autres — souvent sans même savoir que nous cherchons de l’attention.

 

« L’amour immatériel, c’est l’attention » Erich Fromm

 

Je suis assoiffé d’attention !

Lorsqu’une personne demande sans cesse des conseils ou de la réassurance, mais n’écoute jamais vraiment les réponses, ce n’est pas un conseil qu’elle recherche : c’est votre attention.
Il est plus facile de dire « Peux-tu me donner ton avis ? » que « J’ai besoin d’attention ».

Nous connaissons tous des personnes qui réclament plus que leur juste part d’attention.
Elles parlent longuement, attendent qu’on les écoute religieusement, mais sont incapables de rester concentrées quand c’est à votre tour de parler.

Chaque fois que vous réussissez à placer quelques mots — si elles vous en laissent l’occasion —, elles s’impatientent de reprendre la parole, utilisant ce court laps de temps non pas pour vous écouter, mais pour préparer ce qu’elles vont dire ensuite.

Ce genre de personnes peut être difficile à côtoyer — du moins jusqu’à ce qu’elles aient bu suffisamment à la coupe de votre attention pour étancher leur soif émotionnelle.

 

Attentions artificielles

Mais il n’y a pas forcément besoin de manipulateurs extérieurs. Un désir incontrôlé d’attention peut nous pousser à le chercher ailleurs.

Si quelqu’un est « affamé » d’attention, ce besoin peut devenir si urgent qu’il l’empêche paradoxalement de créer des liens sociaux, alors même que ces liens pourraient constituer une source saine d’attention.

C’est ainsi qu’une personne en manque d’attention peut s’attacher à une personne, ou à un thérapeute, ou encore sombrer dans une relation virtuelle, pour nourrir un besoin d’attention artificiel et sens unique.

Commerçants, thérapeutes ou même proches peut être tentés d’offrir (ou de vendre) une attention intéressée pour contrôler une personne en manque d’attention, et la garder dans une zone de confort, plutôt que de l’accompagner, l’encourager et l’aider à se réorienter vers des aspects plus positifs de sa vie, et à se détacher réellement du manque.

J’ai moi-même entendu une amie retourner encore et encore chez une psychologue qui, en définitive, validait à chaque séance ses plaintes en lui apportant simplement de l’attention et une fausse compassion. La cliente n’avait donc pas besoin de construire des vraies relations d’attention désintéressée et amicale, ni de progresser puisque le manque était comblé une fois par semaine. De plus, elle recevait de l’attention sans avoir besoin d’en porter à d’autres, d’en donner, et la paresse est plus confortable.

Cette facilité d’accès ouvre la voie à un auto-embrigadement : le bénéfice secondaire d’une attention artificielle et sans efforts s’accompagne de la crainte de perdre leur source d’attention si elles allaient mieux.

Et « l’amour immatériel, c’est l’attention » d’Erich Fromm, ouvre une voie royale aux relations virtuelles dans une société dont l’attention est de plus en plus intéressée. Mais cette attention-là, pleine d’intentions, ne nourrit pas le besoin émotionnel d’attention.

 

L’attention obtenue au travers de nos rôles

Pour être vraiment nourris en attention, nous devons combler notre besoin d’attention d’une manière saine, dirigée vers la personne que nous sommes, et non vers nos personnages.

Vous avez peut-être déjà rencontré des personnes très bruyantes autour d’une cause : elles en parlent sans arrêt, s’enflamment, publient à tout va. Mais si, du jour au lendemain, elles cessaient d’attirer l’attention au travers de leur combat pour une cause, continueraient-elles à s’y investir avec la même ardeur ? Ou bien cette cause, si chère à leur cœur, est-elle en réalité un moyen inconscient d’attirer l’attention ?

S’engager dans une association, lutter pour une « cause », ou encore dispenser de l’apprentissage peut devenir un moyen inconscient d’obtenir de l’attention. Il ne s’agit pas de dire que nous ne devrions combler nos besoins d’attention à travers des activités qui ne sont pas sociales, et c’est un des rares moyens pour des personnes trop seules d’avoir un contact social.

Mais il faut garder à l’esprit que cette nourriture n’est pas forcément portée à la personne en tant qu’être humain. L’attention peut être portée sur le rôle qu’on incarne dans une structure, que ce soit le militant associatif, le professeur ou encore le manager ou le thérapeute.

Nos décisions risquent alors d’être inconsciemment dictées par la question : « Combien d’attention cela me rapporte-t-il personnellement ? » plutôt que par « Qu’est-ce qui est le mieux pour la situation ? ». L’attention excessive peut même mener à une ivresse, laquelle peut mener une personne à « prendre le melon ».

 

Le love bombing du marketing et des PN

Si vous êtes en train de mourir de soif, et que quelqu’un vous tend de l’eau — et que cette personne semble être la seule à pouvoir le faire — vous risquez de vous sentir prêt à tout pour elle. Elle semblera offrir une solution facile à plusieurs de vos besoins affectifs — et parfois même physiques. Et pour quelqu’un dont les besoins ne sont pas comblés, cela peut être bouleversant — comme boire à pleine gorge après avoir traversé un désert.

Toute organisation ou toute personne sans scrupule qui cherche à vous manipuler le fera à travers vos besoins émotionnels : « il semblait fou de moi : il m’envoyait vingt messages par jour, m’offrait des fleurs, me disait qu’il m’aimait, mais c’était avant que tout ne tourne au cauchemar ». Ou encore « je sortais d’un divorce difficile, je me sentais très mal dans ma peau. Elle me faisait me sentir formidable, me disait que j’étais merveilleux, m’embrassait sans cesse, me répétait chaque jour qu’elle m’aimait. Elle m’a vraiment ensorcelé » …

Le love bombing, ou overdose d’attention, fonctionne aussi bien à l’échelle individuelle qu’au sein d’une secte ou d’une organisation et en marketing. La personne « bombardée d’amour » devient dépendante — puis malléable, manipulable.

Alors, au lieu de se demander d’une personne proche qui semble en pavoisons devant un/e inconnu/e : « Mais qu’est-ce qu’elle lui trouve ? », une meilleure question serait : « Quel besoin comble-t-il/elle chez mon amie/ma parente, et comment pourrait-elle satisfaire ce besoin autrement ? ».

 

L’effet Hawthorne

Ce nom vient d’une étude menée aux États-Unis dans les années 1920-1930.
Des chercheurs observaient des ouvriers dans une usine pour voir quels changements dans leurs conditions de travail amélioreraient leur satisfaction et leur productivité.
Après de nombreux ajustements matériels, ils ont finalement conclu que ce n’étaient pas les changements d’environnement qui avaient fait la différence, mais l’attention et l’intérêt que les chercheurs leur avaient portés. Autrement dit : l’attention est un levier puissant.

Si quelqu’un meurt de faim d’attention, ou s’il cherche à la recevoir d’une seule source, il peut développer de véritables troubles — allant du harcèlement jusqu’à des pensées suicidaires si la relation se rompt. Quand une seule personne est censée combler ce besoin, tout devient fragile.

 

Le rôle majeur de l’attention dans les relations humaines

 

Les relations nous permettent de réguler le besoin d’attention, afin de devenir des êtres humains plus heureux, plus sains et plus efficaces.

Comprendre le rôle central de l’échange d’attention dans nos relations est essentiel.

Pourtant la recette est ancestrale, et simple : C’est entretenir plusieurs amitiés, de nombreux contacts, et participer à quelques événements sociaux par mois … en somme, c’est être en lien.

Je parle là des relations vivantes, réelles, donc y compris disputes, rires et insouciance, des relations d’attention échangées. Et oui, y compris dans le conflit, car rester dans l’échange c’est nourrir l’attention, tandis que laisser le conflit à l’abandon c’est retirer l’attention à l’autre, c’est nier son existence. Ne ghostez jamais vos amis.

Cela nous permet de nourrir ce besoin émotionnel fondamental dans la durée, et nous pouvons alors aussi nous retirer du monde pour vivre un peu en retrait, autre facteur d’équilibre, sans souffrir de manque.

Comprendre l’attention, c’est comprendre les relations

Quand on commence à voir à quel point la recherche d’attention influence tant d’aspects de notre vie, alors toutes sortes de comportements apparemment étranges deviennent soudain beaucoup plus compréhensibles.

 

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📚 Références :

  • Viktor Frankl, Man’s Search for Meaning (le sens comme nourriture psychique)
  • Études sur la motivation extrinsèque vs intrinsèque (Deci & Ryan, théorie de l’autodétermination).
  • Idries Shah, The Commanding Self.
  • Hannah Arendt Les Origines du totalitarisme

Simone Weil, Réflexions sur le bon usage des études scolaires (sur l’attention comme

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