» le temps passe » dit-on. Est-ce que le seul fait que l’aiguille de la montre avance me donne la perception du temps qui passe ? Est-ce que je peux percevoir le temps qui passe avec la même exactitude que l’horloge ? Sans doute, la réponse est non.
N’y-a-t-il pas des moments d’ailleurs, où je me dis « ah tiens je n’ai pas vu le temps passer » ou à l’inverse « tiens, j’ai encore du temps, je pensais qu’il était déjà l’heure » …
Nous percevons le passage du temps, en nous. Sans montre, sans même avoir besoin de plus vieux que nous, ni de plus jeunes. Le temps passe, c’est comme ça.
Mais qui perçoit cela ? Pour percevoir quelque chose, il faut que l’observateur soit en dehors du système. Je ne peux pas percevoir le train qui passe en étant dans le train.
Qui perçoit le temps qui passe ? De la même manière, pour que je puisse percevoir le temps qui passe, il faut qu’une partie de moi soit à l’arrêt, en dehors, dans une position constante.
Ce qui est constant et qui peut percevoir, je pense que c’est ce « moi », ce « je suis » à la fois mystérieux et très simple, cette part de moi qui ne vieilli pas, cette part de moi qui ne se transforme pas, cette part de moi qui n’a pas l’impression de vieillir et qui est toujours la même : c’est moi, tout simplement ! C’est moi depuis que je suis gamin, c’est moi qui est la fondation de la personnalité qui accumule l’expérience de la vie.
De la même manière, si je dis que j’évolue au fil de l’existence, il faut bien que je puisse me référer à quelque chose de constant. C’est ce même » c’est moi « , certains évoquent » je suis cela » , d’autres « l’âme » ou encore « l’essence », cette non-chose qui n’a pas de nom.
Cette non-chose sans nom, c’est aussi ce qui peut être le socle de ma confiance, de ma sérénité, de mon lâcher-prise, de mon abandon à ce qui est. Tout simplement.
Et tandis que ma conscience d’être vivant a peur de mourir – et c’est sain – cette part de constance » je suis » n’a pas besoin d’avoir peur de la mort.
Elle est autant athée que religieuse, dénuée de toute idéologie, de toute manifestation matérielle, et pourtant elle est ce que je suis de plus profondément moi, ce « singulier immatériel » qui m’apporte la paix, déstresse de toute urgence, de tout délai, de toute échéance et même pas celle de l’existence que je suis en train d’expérimenter.
En somme, le fait de saisir que « ce qui perçoit » n’est pas dans mon train d’existence, mais en dehors, me permet de ne pas me sentir passager de mon existence. C’est ce qui me permet de ne pas me sentir prisonnier du temps, car ce « je suis » est en dehors du train de mon existence.
Alors je peux faire un pas de côté, descendre du train, et simplement observer, contempler, m’arrêter, respirer, goûter à cette constance apaisante.