On ne peut nommer ce qui EST.

Nommer ce qui est, c’est lui ôter la vacuité de l’Être. Si je nomme un arbre, je lui enlève le « Être arbre », l’arbre n’est plus arbre, il devient le nom arbre.

Dans la nature, il n’existe aucun nom. Rien n’a de nom. Le soleil, les nuages, la pluie, les animaux, tout dans l’Univers, rien n’a de nom. Rien n’a besoin de nom. Et tout EST !

Nommer quoi que ce soit permet certes de composer un langage commun. Nommer cet épicéa qui se trouve à 20 mètres « épicéa », lui ôte toute sa singularité, et la mienne. La sienne, car cet épicéa n’est à nul autre pareil, il est unique, il EST, pleinement. La mienne, car cet épicéa représente en moi du vécu, des émotions, des moments de mon existence, la plupart sont oubliés de ma mémoire vive, tellement de choses associées, des pensées associées qui n’ont parfois rien à voir Par exemple, je peux avoir regardé cet épicéa au moment précis où j’ai repensé à ma conversation avec mon apiculteur en sortant le miel du sac qu’il m’avait donné. Une association est faite, unique, mienne, irrationnelle, utile ou pas du tout.

Pourtant, l’epicéa EST, sans tout cela. Si je m’autorise à lâcher tous mes concepts, mes définitions, et peu à peu tout ce que je rattache de moi à cet épicéa, petit à petit j’entre dans l’émerveillement de l’Être. Si je sors de ce que je pense voir d’après ma carte du monde, si j’oublie le tronc étant tronc, les branches, les pommes de pin, les aiguilles, si j’adopte un regard défocalisé sur l’arbre, au sens propre comme au sens figuré, alors j’ai devant moi : Être, ce qui ne peut pas être nommé, ce  » je suis ce qui EST  » et je peux accéder à la simplicité majestueuse de la beauté de la VIE : cette chose devant moi EST, comme tout ce qui est.

Cet épicéa est bien plus qu’un épicéa, et maintenant que j’ai évoqué cet épicéa dans ce texte, tu as, toit lectrice / lecteur, imaginé TON épicéa, TA conversation avec un apiculteur, tu as peut-être même trouvé un apiculteur, et tu as imaginé TON association d’images, ou alors auras-tu cherché en toi ce que j’ai voulu exprimer, tu as dans tous les cas eu TES ressentis à cette lecture, et le mot épicéa s’est chargé de significations qui TE sont propres.

Pourtant, l’épicéa, lui, EST sans nos significations, sans nos associations, dissociations, vécus, passés, projections … il EST, tout simplement.

Cette chose, je l’appelle épicéa, et je la laisse Être ! je prends soin de la laisser Être, sans l’enfermer dans les significations que je peux lui avoir associé. Pour que cette chose puisse rester libre, pour que moi aussi je puisse continuer à m’ouvrir à ce qu’elle peut m’apporter encore.

Cet épicéa, ou toi, ou moi, rien n’existe jamais tel qu’on le pense. J’ai une certaine conception de toi, à partir de ce que je peux percevoir de toi. Mais tu n’ES pas ça ! Tu ES toi, et te définir est impossible, car le fait de définir quoi que ce soit, c’est lui coller des attributs qui sont dépendants de celui qui définit. Changer le définisseur, ne change pas la personne, et si la personne peut être définie, définir un Être est par nature impossible, car Être, du moment qu’on le défini, n’est plus !

Du moment que je définis quoi que ce soit, je lui enlève l’intégrité de l’Être, puisque je le définis en fonction de concepts humains, donc inventés, imaginés. Je plaque les images sur ce que je définis, et ce que je définis n’EST déjà plus.

Je pense que les mots, utiles, devraient être limités à ce qu’ils sont, eux, et que les choses ne devraient pas être limitées par les mots, qui sont réducteurs.

Accéder ensemble au merveilleux de la Vie ? Par exemple, une scène où toi et moi sommes devant un arbre isolé dans un champ. Comment pouvons-nous parler de cet arbre sans le nommer ? Pouvons-nous ensuite faire l’exercice de ne pas parler de tronc, branches, feuilles ? Ce sont des conceptualisations. Si ensuite nous nous interdisions de décrire les formes, les couleurs, les reliefs, les sons, les odeurs, les goûts ? Et ainsi de suite …

Il deviendrait de plus en plus vivant à mesure que nous lâchons nos conceptualisations. Et nous, nous deviendrions également plus vivants. A la fin, nous serions là, tous les deux, devant cet arbre, à juste l’admirer.

Jusqu’à partager les vibrations d’une expérience commune, partagée, de contemplation-observation : le silence plein, la vacuité.

Namasté