J’avais 14, peut-être 15 ans. L’adolescence. On n’est pas conscient des tempêtes qui se passent dans le corps, mais celles du coeur, oui ! j’écrivais pour m’exprimer, pour exprimer mon envie de vivre, mais je ne le savais pas encore.

Le stylo à bille du gaucher noircissait des pages et des pages.

J’écrivais aux filles. Hummm, ce doux sentiment, je m’en rappelle encore, ce désir si pur, si profondément humain, de connaitre l’autre. Je ressentais une fille comme je ressens un sentiment, dans mon coeur. C’est tendre, ça sent les fleurs de printemps, une légère brise, et dans le même temps une mélancolie, un regret, l’été arrive et les grandes vacances vont me séparer d’Elle; Elle, elle s’appelait Claudine, Cathy ou encore Elisabeth. Comme j’étais trop moche, trop complexé, trop nul à l’oral, trop timide, j’écrivais des lettres aux filles. Pas des lettres d’amour. Enfin, pas directement. J’y parlais de la vie, du monde, de belles valeurs, de la révolte d’ado, de grands sentiments. Et ça leur plaisait. Elles me répondaient. Quand j’osais jeter la lettre dans la boite aux lettres ! quand j’allais jusque là, je courrais le plus vite possible pour m’éloigner de l’acte que je venais de commettre « oh mon Dieu, que va-t-elle penser ? » « et si c’est son père qui ouvre ? » … aussi je ne signais pas vraiment, ou pas un code que seule elle et moi connaissions … et après, j’attendais. Le lendemain à l’école, comment elle me regardait ? …

J’écrivais beaucoup plus à la société, au monde, pour crier ma révolte. Les injustices, la faim dans le monde, les guerres, et puis les relents de la deuxième guerre mondiale, la shoah, les gens méchants, les politiciens. Il y avait bien quelques figures héroïques, cependant je m’identifiais surtout à moi, la rage m’habitais, elle m’habite encore, tiens ! Les groupes de rock que j’écoutais chantaient, moi j’écrivais des textes chansons.

Oui, il y avait ces textes, ces poèmes sans rimes, juste des cris, des mélopées, des envolées…

La technique, j’en n’avais pas. Le dictionnaire était mon ami permanent. Comme je ne savais pas conjuguer, accorder les verbes, je prenais un synonyme. Le petit Robert était bon pour ça, car à la fin de chaque définition, il donne des synonymes. Alors je découvrais des mots nouveaux.

Tout ça, ça ne s’est jamais vraiment arrêté. J’ai toujours écrit mon amour romantique aux filles, ma révolte au monde. je suis toujours cet ado qui regarde par la fenêtre au loin, à espérer que dans les nuages là-bas, vienne mon amazone, dans un monde d’amour.